Monstres et Merveilles


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« Après la chute » de Nancy Kress

Une novella assez inconsistante malgré son concept sympathique

Couverture illustrée par Diego Tripoldi et conçue par Eric Holstein (ActuSF)

Couverture illustrée par Diego Tripoldi et conçue par Eric Holstein (ActuSF)

Le monde chutera. Le monde chute. Le monde a chuté. Le roman de Nancy Kress conjugue son intrigue à tous les temps. Le passé d’abord, où une série d’enlèvements d’enfants inquiète le FBI. Le présent ensuite, qui devient le théâtre d’une catastrophe écologique. Le futur enfin, dans lequel une poignée d’individus survit à l’intérieur d’une étrange prison.

Mais « Après la chute » ne se limite pas à l’exercice grammatical car il propose un mécanisme séduisant à travers le voyage dans le temps. De fait, en 2035, les survivants disposent d’une machine temporelle qui leur permet de remonter au temps de l’abondance, avant la chute. Malheureusement, incontrôlable, le système ne fonctionne que de manière aléatoire, et durant dix petites minutes seulement. Courte visite donc, mais suffisante pour piller un supermarché ou, si le hasard le permet, kidnapper des enfants. Pourquoi ces vols ? Pourquoi la chute ? Pourquoi survivre ? Les fils de l’Histoire s’entremêlent pour tisser une réponse.

« After the Fall, Before the Fall, During the Fall », titre original, est davantage une novella qu’un épais roman. L’histoire est courte et très aérée. Certains chapitres n’occupent qu’une demi-page. Du coup, une novella de ce type, à plusieurs voix, se doit d’être rythmée et haletante. Or, dommage, elle ne remplit pas ces conditions d’un bon page-turner. Bien au contraire, les passages d’avant la chute, qui relatent l’enquête du FBI, sont inintéressants. Et ceux qui évoquent ladite chute, développement de bactéries, tremblements de terre ou autres joyeusetés, s’avèrent carrément facultatifs. Ne reste donc, dans la marmite, que le mystère autour des survivants.

Un principe original mais peu exploité

Couverture US désigné par Elizabeth Story (Tachyon). Et oui, encore du flat design.

Couverture US désigné par Elizabeth Story (Tachyon). Et oui, encore du flat design.

Et pourtant, ce petit bouquin mérite mieux qu’une montagne de reproches. Il est sauvé par son principal mécanisme : le voyage temporel, le pillage du passé par le futur. Même si elle me semble assez inexploitée, cette petite trouvaille est très plaisante. Imaginez : Pete, un des visiteurs du futur, s’introduit sur la pointe des pieds dans une maisonnée endormie. Il s’immisce discrètement dans la chambre de bébé et le prend dans ses bras. Mais pas assez délicatement, car le nourrisson se réveille. Alertée par les pleurs, la famille déboule dans la chambre et hurle en découvrant le kidnappeur. Le père se rue sur le bougre pour lui arracher l’enfant. Mais, trop tard, les 10 minutes sont écoulées, Pete retourne dans son univers. Il n’assistera jamais à la détresse des parents. Il n’est pas témoin des conséquences de son acte. Loin de se considérer comme un ravisseur, Pete se trouve héroïque ; il a sauvé un enfant du désastre. Voilà, un paradoxe moral intéressant. De plus, le contraste entre les deux univers temporels, la survie opposée à l’abondance, met en évidence les dérives de notre société : la surconsommation et sa conséquence, le gaspillage. Mais l’auteur suit peu ces pistes. Elle préfère se concentrer sur le mystère autour de la chute et des rescapés. Hélas, cette voie conduit à une morale écologiste qui a un goût de « déjà lu ».

Malgré certains concepts originaux, « Après la chute » m’a donc un peu déçu. Il n’a pas su profiter de la force de sa forme courte. Et vu le paysage actuel, riche en constats alarmants et thrillers écologiques, son message sonne creux. Cependant, je pense que cet auteur a du potentiel pour me plaire. Du coup, je suis curieux de découvrir ses autres productions, comme son roman « L’une rêve, l’autre pas » (Prix Hugo, Prix Nebula, Grand Prix de l’imaginaire…).

Pour en savoir plus :

Bubble puceLa couverture américaine (éditions Tachyon) a été conçue par Elizabeth Story.

Bubble puceLa couverture française est de Diego Tripoldi (illustration) et Eric Holstein (conception).

Diego Tripoldi est un illustrateur et dessinateur de BD argentin qui a dessiné, entre autres,  les couvertures de « Oussama » (J’ai Lu) et « Women in Chains » (Actu SF). On reconnaît son style : flat design et couleurs éclatantes.

Eric Holstein est directeur artistique, directeur éditorial et co-fondateur du site Actu SF. Il est également écrivain (petits arrangements pour l’éternité, Mnemos, 2009), traducteurs, monteur radio …

Site de Diego Tripoldi 

Site de Eric Holstein 


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« La Voie de la colère » – tome 1: « Le Livre et l’Épée »

Antoine Rouaud raconte l’épopée captivante d’un empire déchu. Une des révélations Fantasy de cette année.

Couverture illustrée par Larry Rostant

Couverture illustrée par Larry Rostant

Dans le port de Masalia, y a des marins qui chantent les rêves qui les hantent. Et depuis la chute de l’Empire, leur mélopée s’accompagne du rire de nombreux voyageurs : esclaves affranchis, nouveaux bourgeois ou vétérans. Car la République, par sa politique libérale, a transformé ce nid à bouges en cité cosmopolite et bigarrée. Par ailleurs, on raconte qu’un ancien soldat impérial y a trouvé refuge et que, en échange de coups à boire, il vous révèle quelques récits de guerres, promesses de butins perdus. C’est lui que Viola, une jeune historienne, est venue chercher. Car il est un des derniers à avoir côtoyé l’empereur et, paraît-il, emporté un objet précieux convoité par la demoiselle : la mythique épée impériale, Éraëd. Et cette rumeur se confirme lorsqu’elle découvre que ce poivrot grisonnant n’est autre que le général Dun-Cadal, une légende de la chevalerie. Mais après l’assassinat d’un conseiller républicain, les souvenirs du vieux bougon prennent un nouveau sens et déterrent une tragédie qui mêle la petite histoire à la grande.

L’aventure éditoriale du tome 1 de « La Voie de la colère  » est remarquable. Ce premier roman a tant séduit les éditeurs étrangers qu’il sort au même moment dans différents pays d’Europe, ainsi qu’au Brésil. Un plébiscite, amplement mérité, qui lance la carrière du jeune auteur, Antoine Rouaud.

Son intrigue est un peu tissée à la manière de Shakespeare. La trame mélange savamment tragédie personnelle, qui se joue entre les personnages, et fresque historique. De fait, les relations entre les protagonistes sont épaisses, chargées autant des drames traversés que des courtes joies. C’est le cas, par exemple, de Dun-Cadal et Grenouille. Aux prémisses de la guerre, le général est laissé pour mort dans les marais des Salines. Brisé, il est pourtant sauvé par un jeune réfugié, qu’il baptise Grenouille. En échange de son aide, Dun-Cadal accepte de prendre le petiot comme apprenti. Le maître s’apparente alors à un père pour le disciple. Mais on est loin du classique amour filial ou de l’archétype du mentor, car de leur relation ambiguë sourd un drame. Le soldat est bourru, réactionnaire, distant. Dès lors, les échanges entre le « père » et le « fils » se remplissent de silences où l’on s’aime et se hait.
Outre ces liens émouvants, le récit est clairement épique. Il nous parle de révolutions, de cris de liberté, de complots politiques. Autant les personnages que les événements sont inspirants. Ils sont chargés d’un souffle héroïque, à la manière de films comme « Braveheart » ou « Gladiator », pour prendre des références modernes.

L’art de la séduction

(crédit : musée des armées)

(crédit : musée des armées)

« Le Livre et l’Épée » est surprenant à plus d’un titre. Il présente d’abord quelques retournements de situations inattendus (dont un en particulier qui remet en question une bonne partie du livre). Si j’ai cru par moments anticiper un deus-ex machina, celui-ci est parvenu malgré tout à me surprendre. De plus, comme l’histoire ne se focalise pas sur les pensées d’un seul protagoniste, la vision du lecteur est parfois chamboulée. Ensuite la narration mêle intelligemment passé et présent. Les épisodes se répondent, se font écho. Même si ce jeu perturbe parfois la lecture, cela a le mérite d’y insuffler du rythme. Enfin, tiraillés par leurs émotions, les héros sont captivants. Vu la publicité autour de l’oeuvre, je craignais une big commercial fantasy légèrement convenue, archétypale. Mais au fur et à mesure, j’ai été sincèrement ému et aspiré par cette belle histoire. Elle dévoile ses charmes crescendo et finit par séduire. « La Voie de la colère » se déclinera en trois parties. Du coup, une question s’impose :  « à quand la suite ? »

Pour en savoir plus :

Bubble puceLa couverture est illustrée par Larry Rostant. Cet artiste anglais combine graphisme et photographie pour insuffler du réalisme aux mondes imaginaires. Il a notamment illustré les couvertures anglaises de Peter V. Brett ou George Martin.

Son site

Bubble puceInterview de l’auteur sur Elbakin.net. J’apprécie l’humilité de l’auteur (et un écrivain qui cite Barjavel et Pef dans la même phrase mérite d’être lu).


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« Chansons de la Terre Mourante » volume 1

Un recueil amusant et onirique, porté par sept auteurs prestigieux, qui honore l’œuvre de Jack Vance.

Couverture illustrée par Andy Brase

Couverture illustrée par Andy Brase

« A l’autre bout du temps, un soleil rouge et obèse jette sur la Terre mourante sa lumière de fin du monde. » Désormais en deuil, la Terre Mourante n’a jamais aussi bien porté sa robe lie-de-vin. Mais, même séparée de son créateur, cette orpheline ne connaîtra jamais l’extinction de son astre souffreteux. Car le chef d’œuvre de Jack Vance a été adopté par une génération de lecteurs et d’auteurs qui lui rendent un bel hommage dans cette anthologie, dirigée par Gardner Dozois et George R. R. Martin.
Publié du vivant du Maître, ce recueil est donc né d’une volonté de remercier une idole, voire un ami. Ainsi, chaque nouvelle est chargée de la tendre affection d’un auteur pour son mentor. Elles sont accompagnées d’une postface où les écrivains racontent l’influence des romans de Vance sur leur carrière, ainsi que des anecdotes sur une amitié de longue date.

« Chansons de la Terre Mourante » est édité en deux volumes. Ce premier tome rassemble les nouvelles de 7 noms prestigieux : Robert Silverberg, Terry Dowling, Glen Cook, Byron Tetrick, Walter Jon Williams, George R. R. Martin et Jeff Vandermeer. Même si elles sont accessibles à tous, les histoires seront probablement plus savoureuses pour les initiés au cycle de la Terre Mourante. Ceux-ci seront émus de reconnaître de vieux amis, comme Cugel et Rhialto, ou encore le peuple Twk et les déodandes. Les intrigues sont captivantes. Dans certaines, j’ai retrouvé ce ton sirupeux et élégant propre à l’univers. Dans d’autres, l’humour cynique mitonné aux coups dans le dos, à la Cugel. Et à chaque fois, l’inventivité foisonnante de cette contrée magique. Robert Silverberg, par exemple, nous raconte l’histoire d’un noble châtelain, accroc à l’ivresse et la poésie, qui a tout fait et tout vu. Mais à présent, son quotidien alterne entre grands crus et déclamations mélancoliques. Mais son meilleur « jus d’octobre », le cru véritable d’Erzuine Thale, il le réserve pour la fin, lorsque le soleil bordeaux et boursouflé s’éteindra. Qui sait si son grand projet ne risque pas d’être bouleversé ? Excepté l’ennuyeuse nouvelle de Glen Cook, l’anthologie est riche en surprises et situations excitantes : mages piégés dans un tournoi burlesque, jeune baroudeur en quête de son père ou encore une improbable tablée de voyageurs réunis par le hasard dans une mystérieuse taverne.

La Terre mourante est un fantastique foyer d’histoires. L’œuvre de Jack Vance est si propice à l’imagination débridée, à la création, qu’une anthologie autour de son univers semble bien à-propos.  Ses « Chansons de la Terre Mourante » prouvent que le vieux soleil n’est décidemment pas prêt de s’éteindre.

Illustration de Tom Kidd pour l'édition de Subterranean Press

Illustration de Tom Kidd pour l’édition de Subterranean Press

Pour en savoir plus :

Bubble puceLe tome 2 est disponible et rassemble des nouvelles de Tanith Lee, Paula Volsky, Tad Williams, Lucius Shepard, Matthew Hughes, Elizabeth Moon, John C. Wright, Neil Gaiman.

Bubble puce La couverture de l’édition française (ActuSF) a été dessinée par Andy Brase. Cet artiste américain s’est illustré dans de nombreux domaines tels que les comics (Dark Horse, Marvel…) ainsi que le jeu de rôle (Wizards of the Coast…). Il est également l’auteur de couvertures de certains romans de George R. R. Martin, comme « Skin Trade » et « Dragon de glace » (parus également chez ActuSF). Ses dessins sont sombres, contrastés et essentiellement basés sur l’encrage.

Son blog

Bubble puceTom Kidd est un illustrateur américain. Son œuvre, même si résolument moderne, rappelle un peu les vieilles couvertures de Science-Fiction et Fantasy des années 30-40. En 2004, il a reçu un World Fantasy Award en tant que Meilleur Artiste. Il a illustré l’édition américaine de « Songs of Dying Earth », chez Subterranean Press.

Son site

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« Coeurs de Rouille » de Justine Niogret

Première incursion de Justine Niogret dans le steampunk avec un roman épuré, un peu froid, mais pas dépourvu de saveur pour autant

Illustration de David Pairé et Myrtille Vardelle (Le Pré aux clercs)

Illustration de David Pairé et Myrtille Vardelle (Le Pré aux clercs)

Dans la cité du jeune Saxe, il n’y a ni ciel, ni saison, ni arbre, ni chant d’oiseaux. La nature est habilement singée par la mécanique. La moindre feuille est un bijou d’orfèvrerie. Mais les ingénieurs de cette grande illusion ont perdu le talent de leurs prédécesseurs. Là où les anciens confectionnaient de puissants golems, la nouvelle génération ne peut que bricoler de fragiles serviteurs pour l’aristocratie, les « agolems ». L’un de ces créateurs, Saxe, ne supporte plus cette société superficielle. Dès lors, il fuit le cœur de la cité pour les quartiers abandonnés. C’est là, qu’il rencontre Dresde. Depuis la mort de son maître, cette golem déambule dans une maison vide. Pour tromper sa solitude, elle mendie quelques réconforts dans ses habitudes d’automates. Saxe et Dresde aspirent tous deux à un ailleurs. Ce drôle de couple se met donc en quête d’une sortie, d’un possible « dehors ». Mais dans l’ombre, une aberration meurtrière, « Pue – la – Viande », les traque.

« Coeurs de rouille » est le dernier né de Justine Niogret. Ce roman, édité par Pré aux Clercs, cible les jeunes adultes, même si rien n’exclut à priori les plus âgés. Cette histoire nous plonge dans un univers steampunk qui flirte avec les utopies sociales de progrès, tel qu’a pu le proposer Bioshock dans le domaine vidéo ludique. Mais à l’inverse du jeu, « Coeurs de rouille » ne repose pas sur un monde foisonnant, exotique. Son univers est discret voire aride. L’intrigue, quant à elle, est assez simple, ce qui explique peut-être son étiquette YA (Young Adult). Mais le propos du livre n’est intentionnellement pas là. En effet, Justine Niogret construit souvent son œuvre comme une métaphore. Ici, elle nous parle de l’esclavage insoupçonné ou plutôt volontairement évacué de l’esprit. Elle remet aussi en question notre conception du progrès, que l’on associe volontiers à l’avancée technologique, au confort ou au rendement. Bref, comme dans ses précédents romans, son texte engendre un vivier de réflexions.

Une langueur monotone

Concept Art de Bioshock

Concept Art de Bioshock

Mais ce titre ne m’a pas vraiment séduit pour autant. L’univers épuré, les personnages un peu distants et la prose légèrement cryptique manquent de couleurs. Ce style d’écriture, que j’affectionne pourtant tout particulièrement, m’a semblé lourd par moments. J’ai eu donc quelques crises d’ennui lors de cette lecture.

Cependant « Coeurs de rouille » plaira probablement à d’autres. Saxe et Dresde sont deux coques brisées qui partagent une même souffrance, la solitude, la sensation de vivre dans un monde étranger. Une poésie mélancolique imprègne le texte. Un lyrisme qui, couplée au talent de l’auteur ne laisse pas totalement indifférent.

Pour en savoir plus :

L’illustration de la couverture est de David Pairé et Myrtille Vardelle, deux graphistes français qui utilisent abondamment la photographie dans leur travail.


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« Baroudeur » de Jack Vance

Un recueil inventif et coloré qui enchantera les bohémiens de l’imaginaire

Couverture illustrée par Véronique Meignaud (ActuSF)

Couverture illustrée par Véronique Meignaud (ActuSF)

« Baroudeur » porte admirablement son nom. De fait, lorsque l’on connaît l’auteur, ce titre sonne comme une évidence. Voyages et exotisme manquent rarement à l’appel chez Jack Vance. Ce recueil édité par ActuSF comprend cinq nouvelles du maître. Auparavant publiés par Pocket, ces textes ne sont donc pas inédits. Toutefois, un coup de projecteur s’avère toujours bienvenu pour des oeuvres méconnues.

Comme souvent dans les recueils, les cinq histoires ne s’équivalent pas. Même si elles sont toutes plaisantes à lire, les nouvelles « Personnes déplacées » et « Le Papillon de Lune » sortent vraiment du lot. Rien que pour ces deux trouvailles, l’ouvrage est fortement conseillé. Il est à signaler que cette édition n’a pas bénéficié des corrections de la Vance Integral Edition.

La Princesse Enchantée (« The Enchanted Princess » 1954)

Chaque jour, la clinique pour enfants Krebius projette une aventure fantastique d’Ulysse à ses petits malades. Poussé par la curiosité, un professionnel des effets spéciaux, James Aiken, insiste pour assister au spectacle. Le technicien est abasourdi. Le réalisme du court-métrage est saisissant. La magie de cette réalisation dépasse ses pauvres compétences. Intrigué, il enquête auprès du Dr. Krebius.

Jack Vance évoque les promesses du cinéma de son temps, celui des années 50. Malgré le contexte, la nouvelle est surprenante de modernité. Il nous parle de nos rêves et nos angoisses matérialisés à l’écran. Ce faisant, il montre aussi les limites du 7ème art par rapport à la littérature. « La Princesse Enchantée » révèle la puissance évocatrice des histoires et leur capacité à résonner avec notre vie intérieure.

Personnes Déplacées (« DP! » 1953)

Personne ne sait d’où ils viennent. Personne ne les comprend. Leur apparence est similaire à la nôtre excepté leur peau laiteuse et imberbe. Au début, il n’en sort que quelques uns, mais, chaque jour, leur nombre s’accroît. Au commencement, ils n’étaient que curiosités, mais rapidement ils deviennent un problème.

Cette histoire est absolument géniale ! L’auteur la raconte par l’intermédiaire de manchettes de journaux, de reportages, de discours. Ainsi, le lecteur prend le rôle du quidam qui découvre les évènements. Du coup, le récit, très immersif, interpelle. Jack Vance s’y montre très lucide. Il parle de notre manque d’empathie et de l’inefficacité de nos organes internationaux face aux tragédies humaines. Il pointe la politique de l’autruche de l’homme de la rue, celle du lecteur. Une nouvelle qui rappelle « Point Chauds » de Laurent Genefort ou le film « District 9 » de Neill Blomkamp.

Le Papillon de Lune (« The Moon Moth » 1961)

Couverture de l'éditon Dobson Science-Fiction

Couverture de l’éditon Dobson Science-Fiction

Thyssel est le nouvel attaché consulaire des Planètes Mères sur Sirène. Loin d’être prestigieuse, cette nomination est un désastre. Et pour cause, les nombreux prédécesseurs de Thyssel ont tous été massacrés pour un manquement à l’étiquette ou pour une simple faute de goût. Car sur Sirène, les règles protocolaires sont d’une complexité cauchemardesque. Les habitants ne s’adressent la parole qu’en chantant, accompagnés de l’instrument approprié à leur ton, leur position sociale et celle de leur interlocuteur. De plus, les indigènes portent tous un masque qui varie aussi selon une myriade de paramètres. Bref, apprendre à vivre sur Sirène relève du défi. Et cette difficulté devient effarante lorsque les Planètes Mères ordonnent à Thyssel d’appréhender le criminel Haxo Angmark. Comment démasquer le dangereux fugitif dans ce monde où changer d’identité revient à porter un autre masque ?

« Papillon de Lune » renoue avec la créativité exotique de Jack Vance. Mais comme à son habitude, l’auteur ne se limite pas à l’émerveillement gratuit. Toutes ses idées farfelues servent subtilement l’intrigue. Le monde de Sirène rappelle la Terre Mourante par son ton humoristique. Cependant, cette apparente légèreté couve de belles réflexions sur la personnalité et la société.

Adaptation graphique de la nouvelle par Humayoun Ibrahim

Adaptation graphique de la nouvelle par Humayoun Ibrahim

Le Bruit (« The Noise » 1952)

Projet d'animation de Veronique Meignaud "Chor'Biose"

Projet d’animation de Veronique Meignaud « Chor’Biose »

Galispell et le capitaine Hess découvrent le récit étrange d’un voyageur spatial, naufragé sur une planète déserte. A la lecture de celui-ci, ils s’interrogent : folie ou vérité ?

Ce texte est plus énigmatique. M. Vance évoque plutôt qu’il n’impose. Cela donne certes davantage de place à l’interprétation du lecteur. Mais en contrepartie, l’histoire laisse un peu indifférent.

Le Temple de Han (« The Temple of Han » 1951)

S’introduire dans le temple de Han fut d’une facilité déconcertante pour Kelly. S’emparer de l’œil de la Septième Année s’avéra une partie de plaisir. Par contre, ce voleur n’avait pas prévu les conséquences de son sacrilège. Après tout, que peut-on craindre d’une bande de fervents demeurés en robe de chambre ? La réponse s’impose brutalement lorsque la planète se transforme et que les innocents commencent à mourir.

Á défaut d’être original, « Le Temple de Han » est un petit récit divertissant. Le personnage de Kelly rappelle un peu Cugel. Tout comme l’astucieux roublard de la Terre Mourante, Kelly a le bagou et l’intelligence de son côté. Ses petites manipulations et stratégies pour sauver sa peau sont très plaisantes à suivre.

En somme, « Baroudeur » est une lecture très plaisante. Ce livre constitue une bonne entrée en matière pour découvrir Jack Vance. Jamais pesantes, les nouvelles immergent le lecteur dans des univers variés. Un recueil parfait pour les romanichels de l’imaginaire.

Pour en savoir plus :

Véronique Meignaud est l’illustratrice du recueil. Cette Artiste canadienne expérimente en mêlant mouvement et arts graphiques. Ses créations oniriques et évanescentes sont tout en fluidité et finesse. Ses magnifiques illustrations sont à découvrir sur son site !

Humayoun Ibrahim est un illustrateur new-yorkais. Son premier roman graphique, «The Moon Moth » (« Le Papillon de Lune ») est l’adaptation de la nouvelle éponyme. Un extrait