Un recueil inventif et coloré qui enchantera les bohémiens de l’imaginaire
« Baroudeur » porte admirablement son nom. De fait, lorsque l’on connaît l’auteur, ce titre sonne comme une évidence. Voyages et exotisme manquent rarement à l’appel chez Jack Vance. Ce recueil édité par ActuSF comprend cinq nouvelles du maître. Auparavant publiés par Pocket, ces textes ne sont donc pas inédits. Toutefois, un coup de projecteur s’avère toujours bienvenu pour des oeuvres méconnues.
Comme souvent dans les recueils, les cinq histoires ne s’équivalent pas. Même si elles sont toutes plaisantes à lire, les nouvelles « Personnes déplacées » et « Le Papillon de Lune » sortent vraiment du lot. Rien que pour ces deux trouvailles, l’ouvrage est fortement conseillé. Il est à signaler que cette édition n’a pas bénéficié des corrections de la Vance Integral Edition.
La Princesse Enchantée (« The Enchanted Princess » 1954)
Chaque jour, la clinique pour enfants Krebius projette une aventure fantastique d’Ulysse à ses petits malades. Poussé par la curiosité, un professionnel des effets spéciaux, James Aiken, insiste pour assister au spectacle. Le technicien est abasourdi. Le réalisme du court-métrage est saisissant. La magie de cette réalisation dépasse ses pauvres compétences. Intrigué, il enquête auprès du Dr. Krebius.
Jack Vance évoque les promesses du cinéma de son temps, celui des années 50. Malgré le contexte, la nouvelle est surprenante de modernité. Il nous parle de nos rêves et nos angoisses matérialisés à l’écran. Ce faisant, il montre aussi les limites du 7ème art par rapport à la littérature. « La Princesse Enchantée » révèle la puissance évocatrice des histoires et leur capacité à résonner avec notre vie intérieure.
Personnes Déplacées (« DP! » 1953)
Personne ne sait d’où ils viennent. Personne ne les comprend. Leur apparence est similaire à la nôtre excepté leur peau laiteuse et imberbe. Au début, il n’en sort que quelques uns, mais, chaque jour, leur nombre s’accroît. Au commencement, ils n’étaient que curiosités, mais rapidement ils deviennent un problème.
Cette histoire est absolument géniale ! L’auteur la raconte par l’intermédiaire de manchettes de journaux, de reportages, de discours. Ainsi, le lecteur prend le rôle du quidam qui découvre les évènements. Du coup, le récit, très immersif, interpelle. Jack Vance s’y montre très lucide. Il parle de notre manque d’empathie et de l’inefficacité de nos organes internationaux face aux tragédies humaines. Il pointe la politique de l’autruche de l’homme de la rue, celle du lecteur. Une nouvelle qui rappelle « Point Chauds » de Laurent Genefort ou le film « District 9 » de Neill Blomkamp.
Le Papillon de Lune (« The Moon Moth » 1961)
Thyssel est le nouvel attaché consulaire des Planètes Mères sur Sirène. Loin d’être prestigieuse, cette nomination est un désastre. Et pour cause, les nombreux prédécesseurs de Thyssel ont tous été massacrés pour un manquement à l’étiquette ou pour une simple faute de goût. Car sur Sirène, les règles protocolaires sont d’une complexité cauchemardesque. Les habitants ne s’adressent la parole qu’en chantant, accompagnés de l’instrument approprié à leur ton, leur position sociale et celle de leur interlocuteur. De plus, les indigènes portent tous un masque qui varie aussi selon une myriade de paramètres. Bref, apprendre à vivre sur Sirène relève du défi. Et cette difficulté devient effarante lorsque les Planètes Mères ordonnent à Thyssel d’appréhender le criminel Haxo Angmark. Comment démasquer le dangereux fugitif dans ce monde où changer d’identité revient à porter un autre masque ?
« Papillon de Lune » renoue avec la créativité exotique de Jack Vance. Mais comme à son habitude, l’auteur ne se limite pas à l’émerveillement gratuit. Toutes ses idées farfelues servent subtilement l’intrigue. Le monde de Sirène rappelle la Terre Mourante par son ton humoristique. Cependant, cette apparente légèreté couve de belles réflexions sur la personnalité et la société.
Le Bruit (« The Noise » 1952)
Galispell et le capitaine Hess découvrent le récit étrange d’un voyageur spatial, naufragé sur une planète déserte. A la lecture de celui-ci, ils s’interrogent : folie ou vérité ?
Ce texte est plus énigmatique. M. Vance évoque plutôt qu’il n’impose. Cela donne certes davantage de place à l’interprétation du lecteur. Mais en contrepartie, l’histoire laisse un peu indifférent.
Le Temple de Han (« The Temple of Han » 1951)
S’introduire dans le temple de Han fut d’une facilité déconcertante pour Kelly. S’emparer de l’œil de la Septième Année s’avéra une partie de plaisir. Par contre, ce voleur n’avait pas prévu les conséquences de son sacrilège. Après tout, que peut-on craindre d’une bande de fervents demeurés en robe de chambre ? La réponse s’impose brutalement lorsque la planète se transforme et que les innocents commencent à mourir.
Á défaut d’être original, « Le Temple de Han » est un petit récit divertissant. Le personnage de Kelly rappelle un peu Cugel. Tout comme l’astucieux roublard de la Terre Mourante, Kelly a le bagou et l’intelligence de son côté. Ses petites manipulations et stratégies pour sauver sa peau sont très plaisantes à suivre.
En somme, « Baroudeur » est une lecture très plaisante. Ce livre constitue une bonne entrée en matière pour découvrir Jack Vance. Jamais pesantes, les nouvelles immergent le lecteur dans des univers variés. Un recueil parfait pour les romanichels de l’imaginaire.
Pour en savoir plus :
Véronique Meignaud est l’illustratrice du recueil. Cette Artiste canadienne expérimente en mêlant mouvement et arts graphiques. Ses créations oniriques et évanescentes sont tout en fluidité et finesse. Ses magnifiques illustrations sont à découvrir sur son site !
Humayoun Ibrahim est un illustrateur new-yorkais. Son premier roman graphique, «The Moon Moth » (« Le Papillon de Lune ») est l’adaptation de la nouvelle éponyme. Un extrait