Monstres et Merveilles


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« Le Dernier Loup-garou  » de Glen Duncan

Un récit sombre, macabre et sexy doté d’un style particulièrement éloquent

Couverture des éditions Denoël, Lunes d'encre

Couverture des éditions Denoël, Lunes d’encre

Mise en bouche :  « C’est officiel, dit Harley. Ils ont tué le Berlinois il y a deux nuits. Tu es le dernier. » Un silence puis : « Je suis désolé. » Ainsi commence le journal de notre survivant, Jake Marlowe. Une fois le Berlinois décapité, la tête de notre Lycanthrope bicentenaire sera donc la prochaine à tomber. En effet, la Chasse, association de traqueurs de créatures occultes, se le réserve en dessert, ultime douceur d’adrénaline. Mais Jake, désabusé, accueille l’information avec soulagement. En effet, il compte bien leur offrir son cou et en terminer avec cette existence vaine et fade dédiée à la sainte trinité baisetuemange. Mais dans cette foutue vie, rien ne se passe jamais comme prévu.

Style ciselé et vision désabusée

Couverture de l'édition orignal de Random House

Couverture de l’édition orignal de Random House

« The Last Werewolf » est le premier roman d’une trilogie de Glen Duncan, auteur britannique de «Moi, Lucifer ». Ce livre est l’indispensable remède pour les lecteurs nauséeux des récits pré pubères pseudo-vampririques insipides. Ici, les mythes de créatures occultes en tous genres sont redorés. Ou plutôt non, l’auteur les replonge dans les obscures eaux noires d’où ils émergèrent. Ainsi, même si le contexte est moderne, le lecteur savoure une histoire profonde et réaliste.
Ces qualités se manifestent très probablement grâce à la psychologie fouillée des personnages. Car en effet, on découvre la vie de Jake Marlowe à travers son journal. Des chroniques qui nous offrent un accès direct à ses réflexions intimes. Et le génie de l’auteur, Glen Duncan, est de fusionner fond et forme, psychologie et style. Marlowe s’exprime à travers une écriture animale hachée, versée dans l’instant. Les mots rappellent sa pulsion animale, camouflée dans les tripes. Ses formules intelligemment écrites tombent justes. Cependant, cette écriture travaillée empêche par moments une lecture fluide. Mais en milieu de récit, la mécanique se met en place et on savoure davantage les divagations du héros. Les propos se gorgent de philosophies nihilistes, de visions poétiques noyées dans le whisky. Jake arbore une vision désabusée, lointaine sur l’activité humaine. Son regard vaporise une atmosphère de roman noir. Un bar d’hôtel. Une chambre de pute. Un appartement d’où l’on observe les lumières de la ville, témoins d’une effervescence qui ne nous concerne plus.

Une sensualité fascinante

Couverture australienne (Text Publishing)

Couverture australienne (Text Publishing)

Le sexe est très présent. Jamais racoleur, le récit le décrit sans tabous, avec beaucoup de force et de sensualité. A la fois, dépeint comme une activité animale, mais aussi, et pour les mêmes raisons, comme notre plus proche contact avec le divin. Il intègre complètement cette peinture de l’homme où l’amour, la faim, le sexe, la vie forment un tout. Ces notions renvoient à la même force que soutient la philosophie nihiliste du personnage. L’humain donne un nom à ce qu’il expérimente, s’invente des illusions de moralité. Mais la vie n’est pas morale. Elle est. Brutalité, jouissance, affection. Elle trouve son chemin par nos corps et se fichent bien de nos illusions de « conscience” ou de « moi”. Le reste n’est que verbiage.

L’atout de l’intrigue n’est pas vraiment l’originalité. C’est son réalisme et son magnétisme qui nous empêche de décrocher. Si l’histoire était racontée de manière factuelle, elle ne brillerait pas par son inventivité. Mais sa savante narration nous appelle. Le loup-garou touche vraiment aux fluides qui nous construisent. Mélange de réflexions et d’expériences corporelles, il nous propulse au coeur de notre réseau synaptique et hormonale. Chaque page vibre de cette énergie vitale.

« Ridley Scott en a acquis les droits cinématographique” Pensée coupable : Merde. Dommage. C’était si bon comme ça.