Monstres et Merveilles


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« Même pas Mort » de Jean-Philippe Jaworski

Un récit celte envoûtant malgré sa première partie un peu froide

Même pas mortDernier-né de Jean-Philippe Jaworski, « Même pas Mort » est une des parutions les plus attendues des amateurs du genre. Ce roman est une autre pierre angulaire du catalogue partagé par le collectif des « Indés de l’Imaginaire ». Il s’agit du premier tome de la trilogie « Rois du Monde ». Pour rappel, Jaworski est l’auteur acclamé du recueil de nouvelles « Janua Vera » et du roman « Gagner la guerre ». Ces précédentes oeuvres prenaient place dans l’univers fictif du Vieux Royaume, et principalement dans Ciudalia, république faste, sorte de Florence gargantuesque. Changement de décor pour le petit nouveau puisque l’histoire se déroule dans l’europe celtique de l’Antiquité.

Tu raconteras 2Ainsi commence le récit de Bellovèse, fils de Sacrovèse, fils de Belinos. Un chef celte dont les yeux saluèrent plusieurs générations d’hommes. A présent, le regard du patriarche ne contemple que le crépuscule de sa vie. Cependant, sur sa langue, survit encore le goût du fer. L’écho sourd des boucliers de bronze résonne dans chacun de ses récits. Et justement, le récit qu’il s’apprête à léguer est celui de cette mystérieuse existence qui a conduit sa tribu aux confins de l’Europe. C’est sur ces terres, qu’il charge un marchand grec de transmettre son histoire. Il commence celle-ci par l’événement qui a tout bouleversé ; celui où transpercé par une lance, il se relève « même pas mort ».

Extrait "Même pas Mort"Et en effet, les mémoires de Bellovèse ne suivent pas un ordre chronologique, de la prime jeunesse aux vieux jours. Il s’agit plutôt d’un récit enchassé. Une histoire en découvre une autre, à la manière des poupées russes. Cette construction est un véritable coup de maître. Mais c’est probablement aussi une des raisons qui m’a empêché d’apprécier pleinement la première partie du roman. Car au départ, on s’attache peu à ces personnages circonspects dont on ne connait ni le passé, ni la nature des relations qu’ils entretiennent. La société celte est, en effet, très ritualisée. Du coup, au départ, ces héros sont distants. Et le ton est parfois ronflant. Mais au fur et à mesure, le brouillard se lève sur les protagonistes. Et cette tendance va crescendo jusqu’à l’apothéose où toute la lumière est faite. Si bien que l’on referme ce livre avec l’envie furieuse d’en connaitre la suite.

Jaworski, l’érudit

Page de garde par Sébastien Hayez (Les Moutons Électriques)

Page de garde par Sébastien Hayez (Les Moutons Électriques)

« Même pas Mort » se situe dans un registre plus solennel et lyrique que « Gagner la guerre ». Cependant on y retrouve la plume savante de Jaworski, aussi bien dans le style que dans ses descriptions. Dans la forme d’abord, l’écriture est toujours virtuose. Les histoires de Benvenuto le montrait déjà, le lexique de l’auteur est riche et précis. Ensuite, pour le fond, l’écrivain nous détaille une société celte authentique, beaucoup plus subtile que ce qu’en ont retenu nos vieux livres d’Histoire. On y découvre un peuple, certes guerrier, mais aux moeurs raffinés. On sent qu’une grosse documentation étaie le roman.

Bref, un livre qui charme, surtout dans sa seconde partie. Une histoire qui nous transporte sur des chemins de légende, au sein de forêts pailletées de givre. « Tu raconteras ma vie », premiers mots de « Même pas Mort » sonne comme une adresse au lecteur, en définitive, le seul garant de l’immortalité de Bellovèse.

Il faut signaler l'excellent travail mené par l'éditeur.  Hard-Cover, reliure, garde, numéros de page... Une édition très soignée.

Il faut signaler l’excellent travail mené par l’éditeur. Hard-Cover, reliure, garde, numéros de page… Une édition très soignée.

Pour en savoir plus :

– Toutes les illustrations de l’article sont l’oeuvre de Sébastien Hayez (Les Moutons Électriques). Graphiste et illustrateur, il est responsable de la conception graphique de la couverture. « Avec près de 80 couvertures de livres (Folio-SF,. Denoël, J’ai Lu, Mnémos, La Clef d’Argent, etc.) et une vingtaine de design de CDs, il se spécialise dans ces deux supports fortement standardisés, et tente de mettre en évidence le rapport tactile et sensible de ces objets imprimés. » (Source : les moutons électriques)

Son site

 


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« La Chasse Sauvage du Colonel Rels » d’ Armand Cabasson

 Des nouvelles assez peu consistantes où la fantasy n’est ni franchement assumée, ni très originale.

Illustration de Lasth (ActuSF)

Illustration de Lasth (ActuSF)

Pour cette rentrée littéraire, les Indés de l’Imaginaire célèbre la Fantasy française au travers de trois grosses sorties : « Mordred » de Niogret, « Même pas Mort » de Jaworski et « La Chasse Sauvage du Colonel Rels » de Armand Cabasson. Autant l’amateur d’imaginaire bave très probablement d’envie à l’annonce des deux premiers titres, autant le dernier le laissera certainement perplexe. « Cabasson ? Euh.. Qui est-ce ? ». Et bien, il s’agit d’un auteur de nouvelles et de romans policiers historique ( aussi connu sous le pseudonyme de Jack Ayston). Une première incursion en Fantasy donc. Un nouvel auteur, qui semble plaire tant à ActuSF que la maison d’édition l’utilise pour lancer la rentrée du collectif. Intriguant n’est-ce pas ? D’autant plus qu’il est associé à deux des auteurs français les plus marquants de ces 4 dernières années.

« La Chasse Sauvage du Colonel Rels » est un recueil de 9 nouvelles qui mêlent Histoire et imaginaire. « 1348 », par exemple, raconte la conquête de Londres par le Roi Peste. Les rues de la capitale deviennent ainsi le théâtre burlesque du chaos et de la débauche. Une autre histoire concerne « Giacomo Mandeli », un peintre italien de la renaissance loué pour son talent à représenter le vrai. Réquisitionné par l’inquisition espagnole, il est contraint de peindre le visage du diable. Enfin, des nouvelles comme « L’héritage » et « Les chuchotements de la lune » se déroulent dans le japon belliqueux des Samouraïs au XVIème siècle. La Russie, l’Irlande, les États-Unis sont autant de destinations proposées par l’auteur.

« Peu importe le flacon .. »

Les Indés de l'Imaginaire (ActuSF, Les Moutons Électriques, Mnemos)

Les Indés de l’Imaginaire (ActuSF, Les Moutons Électriques, Mnemos)

Selon l’éditeur ActuSF, Armand Cabasson propose des nouvelles où « la fantasy se perd dans les méandres de l’Histoire… ». Or, la première chose intrigante est justement la quasi-absence de Fantasy. Non seulement les éléments surnaturels sont rares, mais en plus le lecteur hésite quant à leurs existences. Véritable minotaure ou homme défiguré ? Pouvoir divin ou simple concours de circonstances ? Cela ressemble davantage à une rencontre entre Fantastique et Histoire. Même si les étiquettes sont bien loin d’être la panacée, il faut bien avouer qu’il s’agit d’un choix étrange pour affirmer une « Fantasy française ». Mais bon, le genre d’un ouvrage importe peu pour apprécier un roman.

Cependant, l’ivresse n’est pas au rendez-vous. Les nouvelles sont peu approfondies. Elle donnent, parfois, la sensation de lire des extraits de romans inexploités. Elles se bornent à des descriptions de courtes « scènes » sans intrigue construite. Déjà, Six des neuf nouvelles accordent une place importante (voir unique) aux combats. Du coup, cette récurrence a tendance à lasser. A force, de lire des ordres de batailles et des explications de formations, l’envie est forte de refermer le livre. Ensuite, les fins sont abruptes et mal amenées. Par moments, on tourne la page et on est surpris d’y voir inscrit le mot « fin ». Et justement, le lecteur y reste, sur sa faim. Certaines conclusions ont des allures de pétards mouillés. Si ces vides sont intentionnels, pour laisser plus de place à l’imagination du lecteur par exemple, je trouve l’expérience ratée. Enfin, le recueil manque d’originalité. La Fantasy aurait certainement pu s’attaquer de manière beaucoup plus franche à l’Histoire.

Heureusement trois nouvelles sortent du lot : « Giacomo Mandeli », « Saint Basile le Victorieux » et surtout « Le minotaure de Fort Bull » (par ailleurs, assez mal illustrée par la couverture). Pour le coup, cette dernière est surprenante et haletante. Elle nous raconte le siège d’un fortin sudiste vu par son général, un type défiguré, semblable à un minotaure sur son bout de forteresse. Un suspens prenant couplé à une jolie réflexion sur l’humanité et le monstrueux. De plus, Armand Cabasson utilise de manière intelligente l’histoire des soldats noirs nordistes lors de la guerre civile américaine. J’ai beaucoup apprécié.

Mais de manière générale, le recueil ne m’a paru ni très assumé, ni très original. Ce sont des petites histoires sympathiques pour certaines, mais qui ne méritent pas, d’après moi, sa place de fer de lance dans le catalogue du collectif des Indés de l’Imaginaire. Peu importe le flacon, certes… Sauf évidemment, lorsqu’on reste désespérément sobre.

Pour en savoir plus :

L’auteur de la couverture, Lasth, est dessinateur de bande dessinée et illustrateurs de plusieurs couvertures (entre autres « Butcher Bird »). Son dessin est sombre, tout en contraste. Très belle gallerie à visiter sur son site.


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« La Triste Histoire des Frères Grossbart » de Jesse Bullington

Un voyage délirant et savoureusement cruel, qui, cependant, s’avère ennuyeux.

Couverture (Panini Books)

Couverture (Panini Books)

Mise en bouche : Cette histoire commence dans l’Europe fantasmée du 14ème siècle. Démons fangeux et sorcières harcèlent les voyageurs. Peste et famine ravagent les campagnes. Mais aucun de ces fléaux n’égale les frères Grossbart. Pilleurs de tombes de génération en génération, les Grossbart ne suivent que leurs propres lois, impitoyables. Laissant derrière eux un sillon de sang et de cadavres, les jumeaux tracent leur route vers la lointaine « Gypte » et ses promesses d’opulents tombeaux.

Des périgrinations macabres et comiques

L’année 2013 marque le retour de la collection Eclipse sous le label des éditions Panini Books. Cet évènement s’accompagne d’une réédition de titres emblématiques de leur catalogue, dont „La Triste Histoire des Frères Grossbart” de Jesse Bullington. Présentés comme des personnages historiques du folklore allemand, nos compères sont au centre d’un „road trip” macabre. Leur voyage vers l’Orient est ponctué de multiples aventures et rencontres. Grâce à cette narration picaresque, le roman gagne une véritable consistance moyenâgeuse. Ce ton digne d’un manuscrit médiéval est renforcé par une ambiance particulièrement sinistre. De fait, Jesse Bullington décrit des scènes abjectes mêlant sang, pus et crasse. Il en résulte une teinte de conte infâme très réussie dont on se délecte dans un frisson.
Le point fort du roman réside dans les dialogues complètement barrés, notamment entre les deux frères. Empreint d’un vocabulaire paillard, leurs invectives sont bourrées de gouaille et de cynisme. On se marre bien souvent en lisant certaines répliques. Les jumeaux portent un regard complètement décalé sur leur société. Ils s’inventent des principes délirants. Ils vouent, par exemple, un culte limite charnel à la Vierge Marie mais crachent sur Jésus, considéré comme un stupide couard.

Ennui mortel ?

Illustration de  Istvan Orosz (Panini Books)

Illustration de Istvan Orosz (Panini Books)

On apprécie donc ces héros atypiques et ce cadre grotesque bien planté. Cependant, le roman n’est pas très équilibré. En effet, les moments captivants sont contrebalancés par d’autres bien plus lourds. En particulier, les nombreuses scènes d’actions m’ont beaucoup ennuyées. Ces passages sont confus et sans saveurs. Le lecteur s’y perd et finit par se désintéresser du sort des personnages. Cette impression ne se limite pas aux combats ; beaucoup de longueurs ralentissent le récit. Ces somnolences passagères couplées à un manque d’empathie pour les personnages pousse le lecteur hors du récit.
La fin de cette aventure part complètement en vrille. On ne saisit plus très bien les motivations de certains protagonistes qui délirent complètement. Bien sûr, ce caractère insaisissable et déjanté est certainement très jouissif. Mais paradoxalement, autant d’incongruité déstabilise la lecture et crée de la distance avec l’univers.

Design du livre

La réalisation de l’ouvrage est superbe : le grain du papier, la typo, les lettrines en début de chapitre et surtout la couverture. L’illustration magnifique de cette dernière a été réalisée par Istvan Orosz, artiste hongrois. Celui-ci utilisent une technique traditionnelle de gravure sur bois. Son travail exceptionnel sur les illusions d’optique (dont les anamorphoses) mérite le coup d’oeil. Le design et la typo sont l’oeuvre de Keith Hayes et Lauren Panepinto

Illustration de Istvan Orosz (Panini Books)

Illustration de Istvan Orosz (Panini Books)

Illustrations et liens:

Site de Istvan Orosz : Gallery Diabolus

Blog de Jesse Bullington : Blog


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« Chien Du Heaume » de Justine Niogret

« Chien du Heaume » est un roman d’une grande humanité. Une merveille épique mais intimiste, brutale et pourtant sensible.

Mise en Bouche : Chien du Heaume est son surnom. Mot hérité sur les champs de bataille, taillé au fil de sa hache. Mercenaire en quête de son véritable nom. Chien est une femme solide dont la quête sera parsemée de gueules cassées et de coeurs fendus qui toucheront son existence.

Merci à Justine Niogret de nous offrir une héroïne si extraordinaire ! Enfin une véritable femme qui piétine cette idée stupide de sexe faible. Je ne parle pas ici de fausses féministes french-manucurées qui gueulent « girl power » avant de se cuisiner de bons petits cupcakes. Ni de carpes insipides qui attendent dans leur bocal que le mâle daigne s’intéresser à elles (à la Twilight). Non, certainement pas.

Chien est une guerrière. Une abimée de la vie qui ne connaît que la voix de l’acier. Aucun gant de velours n’habille sa main rude. Elle se dit laide et fuit l’élégance. Mais Chien n’est surement pas un « garçon manqué » (je décapite celui qui prétend le contraire !). Chien est simplement une femme libre. Elle taille seule sa place et refuse de vivre dans un monde d’homme. Car oui, la féminité n’est pas délicatesse et parfum aux roses. La femme n’a pas forcément un instinct maternel ou une sensibilité exacerbée. Pour le moment, on nous martèle tellement avec ces conneries que même les concernées ne distinguent plus le vrai du faux. Enfin bref, apparte féministe terminé. Chien, elle, s’est fait à l’égal de l’homme de son monde.

Chien est aussi admirable par son humilité. Elle se sait laide, grossière, mais surtout atypique. Elle n’en tire aucune fierté, elle est consciente de sa « vulgarité ». Elle se contente de survivre et de chercher son existence. Chien est profondément humaine et réelle.

Un monde païen

Illustration de l’édition poche par Johan Camou (Bandini) *

Ce roman dépeint un monde brutal où rien n’est dissimulé au lecteur. Chaque poignée de terre arrachée révèle ses pétales de rose et sa merde. La vérité est ainsi faite. Elle paraitra surement hideuse pour les biens pensants, ceux qui refusent de voir le purin. Elle y gagnera en beauté pour les autres. Car évidemment, dans un monde sans masques ni atours, l’authenticité caractérise les coeurs qui y vivent. On y rencontre des erres écorchés à vif et dépourvus de nos gardes fous. Leurs émotions sont brutes, accompagnées de foutre, de sang et de sueur. Les poignées de mains sont crasseuses et les mots cruels. En fait, c’est une mise à nu de l’Homme. Son essentiel brutal, puant, amant, rêveur et tueur qui nous saute à la gueule. On peut dire que l’  « Ancien Monde » hante ces pages. Celui d’avant les moinillons du Nazarethéen, qui pousseront l’homme à haïr sa chair. Avant qu’ils ne le transforment en pêcheur et restreigne sa libre expression. Avant qu’ils ne laissent à la femme que les seconds rôles. Plus précisément, c’est cette période de transition que l’auteur nous dépeint avec beaucoup de subtilité.

Langue de miel et voix du fer

Une autre merveille de ce livre est son style. Justine Niogret utilise une langue à la fois moderne et un vocabulaire moyen-âgeux. Les mots sont truculents et pleins de gouaille. Mais la lecture reste claire, une liqueur sans gueule de bois en somme. Le ton du livre est résolument sérieux, sobre. Par contre, il se termine par un « petit lexique à l’usage des étrangers aux armes, armures et pièces d’équipement médiévaux ». Et là, surprise, nouveau style, plus léger, humoristique et toujours aussi excellent.

Ouaip…Y a pas à dire, les auteurs comme Justine Niogret sont les raisons pour lesquels j’adore cette littérature.

Illustration :

– La couverture poche a été réalisé par Johan Camou (Bandini): http://bandiniland.unblog.fr/ .

– La couverture de l’édition Mnemos par Johann Bodin : http://yozart.blogspot.be/