Monstres et Merveilles


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« Porcelaine » d’Estelle Faye

Un conte tendre et merveilleux dont la poésie vous laisse rêveur.

Couverture de "Porcelaine" par Amandine Labarre (Les moutons électriques)

Couverture de « Porcelaine » (Les moutons électriques)

Édité par « Les moutons électriques », « Porcelaine » est le deuxième roman d’Estelle Faye. Inspiré par la mythologie chinoise, ce conte onirique nous transporte dans l’Asie du IIIème et XVIIIème siècles. Sans aucun doute, une publication rafraichissante pour l’imaginaire français.

Niché au coeur des monts du Hunan, un petit village de potiers déclenche le courroux du Dieu du Hengsan. De fait, les habitants ont creusé trop profondément dans la montagne pour y loger leurs «fours-dragons». Et, afin d’alimenter ceux-ci, les bucherons grignotent avec déraison le territoire sacré de la divinité. Cependant, malgré l’accumulation de catastrophes, l’artisan le plus talentueux du village s’entête dans sa quête de la porcelaine parfaite. Depuis la mort de sa femme, il y consacre toute son énergie, délaissant ainsi son fils Xiao Chen. Mais le jeune garçon, entièrement dévoué à son père, subit l’ire divine. Maudit, il se voit affublé d’un faciès de tigre. Xiao va ainsi commencer une vie d’errance rythmée par les rencontres, les amours passionnels et les merveilles de la Chine.

« Pendant presque quinze siècles, rivalités et amour s’entrecroisent, tissant une histoire de passion, de tendresse et de sacrifice, sur fond de magie et de théatre. »

(Les moutons électriques, éditeur)

« Porcelaine » fait figure de source fraîche et douce dans la littérature de l’imaginaire. Portée par le style agréablement fluide d’Estelle Faye, la lecture coule sur les mots avec légèreté. En effet, la narration est au présent, comme si la conteuse nous transportait directement face aux évènements. L’onirisme ne quitte jamais le lecteur. Du coup, s’installe une atmosphère soyeuse propre aux contes. Les émotions prennent vie au travers de figures magiques.

Dans la première partie, ce type de narration entraîne parfois un désintérêt face à des personnages qui se cantonnent à des rôles de papier. Le manque de dialogues et de focalisations internes rend le récit artificiel. Mais cette impression s’avère de courte durée. Progressivement, l’histoire enivre par sa poésie et passionne par ses protagonistes qui se complexifient et nous émeuvent.

Il était une fois…

Traditional chinese painting par slightboy (deviant art)

Traditional chinese painting par slightboy (deviant art)

Imaginez une nuit étoilée. Une place de village se pare de soies pourpres et de lampions rouges qui oscillent discrètement dans la brise légère. Sur scène, un comédien virevolte et tranche l’air de ses sabres de bois. Son numéro est envoûtant. Il arbore un magnifique masque de tigre blanc. Émerveillés, des visages d’enfants s’illuminent au moindre geste de l’acrobate. Pendant un court instant, rien d’autre n’existe. Pour un soir, les héros de légende se réveillent. C’est la magie de la scène. « Porcelaine » est un éloge du pouvoir de l’imaginaire, du rêve, du spectacle. Le théâtre y agit comme un véritable exorcisme du quotidien. Ce roman nous parle de l’ancienne magie du monde. Celle qui, souillée par la modernité, survit dans l’art des acteurs et autres conteurs. L’écrivain m’a touché en évoquant la sensibilité du comédien. À travers la tendre pudeur de Xiao, elle nous raconte la peur de l’artiste de ne pas être à la hauteur des personnages qu’il incarne.

Le cadre du roman est évidemment un atout de taille. Cette histoire se déroule dans la Chine des trois royaumes et celle des empereurs Qing. Loin de tomber dans la simplicité de la carte postale, ce décor est traité avec subtilité. Bon, le but ici n’est clairement pas de tracer un portrait politique ou historique. Mais, il est agréable de sentir un souci de crédibilité de l’univers. Par exemple, le récit aborde les relations entre Mongols et Hans ou l’influence de l’occident sur Pékin. La mythologie chinoise imprègne le fil narratif et le bestiaire. La rencontre avec un univers différent est très agréable (même si occidentalisé, il s’agit d’un roman français.) Le lecteur prend ainsi une bouffée d’exotisme. Trop rares sont les romans de fantasy qui s’éloignent du vivier légendaire européen et s’alimentent des saveurs de l’Asie.

La Légende du Tigre et de La Tisseuse est une magnifique métaphore sur la vie : l’emprise du temps, la magie de l’existence, l’abnégation dans le couple… La poésie de certains passages laisse rêveur. Le récit se poursuit crescendo jusqu’à une superbe conclusion à la hauteur des attentes du lecteur.

Illustration de "Porcelaine" par Amandine Labarre (les moutons électriques)

Illustration de « Porcelaine » par Amandine Labarre (les moutons électriques)

Pour en savoir plus :

La superbe couverture digne des estampes chinoises est l’oeuvre de Amandine Labarre. Vous pouvez découvrir son travail sur son site ou son blog 

Interview de Estelle Faye sur Elbakin

Site de l’éditeur, les moutons électriques

 


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« Martyrs » T.1 de Olivier Peru

Une fresque épique, de solides personnages, un parfum de légende.

Couverture de "Martyrs" illustré par Olivier Peru chez "J'ai lu". Publié en semi-poche.

Couverture de « Martyrs » illustré par Olivier Peru chez « J’ai lu ». Publié en semi-poche.

Au royaume de Palerkan, Helbrand et Irmine Lancefall, frères assassins, sont condamnés à vivre dans l’ombre. En effet, leurs yeux dorés trahissent leur ascendance Arserker, une race éteinte de fabuleux guerriers. On raconte que ces berserkers dominaient autrefois les champs de bataille. Certains ajoutent qu’ils étaient dotés de pouvoirs fantastiques. Bref, de vrai bêtes de guerres dont les histoires terrorisent encore les enfants. Mais les frères Lancefall n’ont que rarement croisé l’un de ces monstres. Le plus jeune, Irmine, ne croit d’ailleurs guère à toutes ces fariboles. Cependant, un mystérieux borgne les mènera, bien malgré eux, sur une route parsemée d’énigmes tirées de ce sanglant passé. « Et tandis que la guerre menace d’embraser le monde, que les puissants tissent de noires alliances. Ils vont devoir choisir un camp. Leur martyre ne fait que commencer… » (J’ai lu)

Après « Druide« , Olivier Peru, illustrateur et scénariste, se lance dans un cycle de fantasy épique franchement assumé avec « Martyrs« . On y retrouve son goût du mystère et une brochette de héros bien charpentés. La prose de « Martyrs » empreinte à l’art des conteurs. Car son talent n’est pas tant de surprendre que de captiver. Chacun de ses personnages jouit d’une aura charismatique : le père carnage, le gros roi Karmalys, le fascinant Huparn Caval. Ils portent tous leurs secrets, leurs histoires personnelles. Pour certains, l’auteur prend soin de nous partager leur passé, leurs pensées et leurs peurs. Pour d’autres, ils deviennent une énigme que le lecteur a hâte de résoudre. Ainsi, un royaume se construit, à travers le regard des hommes qui le façonnent. Cela augure une fresque colorée pleine de potentiel.

Seul souci, une sensation de longueur. En effet, le narrateur prend sont temps pour planter proprement chaque scène. Du coup, le récit est très clair, mais par moments un peu statique. J’aurais apprécié que les événements se bousculent davantage. Et puis, je dois bien avouer qu’une romance entre certains personnages m’a un peu lassé. Outre ces détails, l’histoire est rythmé par des surprises et découvertes. Les mystères autour de la race mythique des Arserkers, du borgne et de ses cartes de tarots jouent pour beaucoup dans l’attrait du roman. Du coup, on pardonne facilement le côté un peu pesant.

Palerkan, un monde séduisant

Le roi Karmalys par Olivier Peru. Sur son blog, l'auteur lance l'idée d'un artbook centré sur "Martyrs"

Le roi Karmalys par Olivier Peru. Sur son blog, l’auteur lance l’idée d’un artbook centré sur « Martyrs ». Oh oui !

Cet univers d’assassins, d’intrigants ou de rebelles évolue sur une terre récemment unifiée sous la bannière du corbeau couronné, le Reycorax. Le roi Karmalys, héritier de cette ascendance, lutte pour pacifier le monde connu et sortir ainsi de l’ombre de ses illustres ancêtres. Stratège impitoyable, il veille à empoisonner les relations dans les cités nordiques. De même, il étouffe dans l’oeuf la soif de liberté des insulaires. Seule la cité d’Alerssen, joyau culturel et commercial, s’est ménagée une relative indépendance dans la gestion de ses affaires. Quant au peuple, il est séduit de plus en plus par l’Écriture, une religion louant un dieu unique : le Roi Silence. « Un guerrier entaillé de cicatrices et de mille rides de chagrin dont le retour prochain est annoncé ». Dans sa sombre Bible, ce culte a prophétisé nombre d’événements tragiques, entre autres la « Marche des spectres ». De fait, les habitants sont désormais forcés de composer avec des revenants qui déambulent dans les ruelles.

Olivier Peru dote son monde d’une bonne personnalité, mélange de moyen-âge et de renaissance, de christianisme et de paganisme. L’auteur crée une véritable impression d’historicité. La terre de Palerkan existe et séduit, sans artifices. Même les contrées à peine décrites donnent envie de dévorer la suite : que ce soit les coutumes claniques des insulaires, les intrigues des forêts suspendues et surtout les mystérieux Arserkers. Écrire une série épique s’avère un exercice exigeant. Non seulement la création doit être tangible, ce qui demande des capacités didactiques. Mais en plus elle doit maintenir l’intérêt sur la durée. Et l’écrivain s’en sort plutôt bien.

Il est à signaler que le livre est magnifiquement illustré par l’auteur lui-même. Au détour d’un chapitre, on croise des vitraux et des cartes de tarots représentés avec beaucoup de style. Les mythes et légendes du roman y prennent vie. Très agréable !

Vitrail par Olivier Peru. Les illustrations du roman sont en noir et blanc.

Vitrail par Olivier Peru. Les illustrations du roman sont en noir et blanc.

Pour en savoir plus :

– Elbakin a réalisé une très bonne interview de l’écrivain. A lire !

Interview

– Blog de l’auteur où il présente, entre autres, certaines de ses illustrations. Il évoque aussi la possible adaptation de « Martyrs » en série télé.

Blog d’Olivier Peru

– La maison d’édition « J’ai lu » propose de très longs extraits du roman sur son site. Une bonne initiative, trop rare dans les communications autour des romans.

Martyrs chez « J’ai lu »