Monstres et Merveilles


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« Perdido Street Station » de China Miéville

 Une oeuvre vraiment excentrique et donc incontournable. Un exotisme bienvenu dans le paysage de l’imaginaire.

Mise en bouche : Nouvelle-Crobuzon : une métropole tentaculaire et exubérante, au coeur d’un monde insensé. Humains et hybrides mécaniques y côtoient les créatures les plus exotiques à l’ombre des cheminées d’usine et des fonderies. Depuis plus de mille ans, le Parlement et son impitoyable milice règnent sur une population de travailleurs et d’artistes, d’espions, de magiciens, de dealers et de prostituées. Mais soudain un étranger, un homme-oiseau, arrive en ville avec une bourse pleine d’or et un rêve inaccessible : retrouver ses ailes. Isaac Dan der Grimnebulin, savant fou et génial, accepte de l’aider. Mais ses recherches vont le conduire à libérer une abomination sur la ville tout entière…(source : Pocket)

« Perdido Street station » est un de ces romans tellement originaux qu’ils bousculent les belles définitions. De fait, l’univers de China Mieville est une véritable claque. Sa ville explose toutes les conventions. On y rencontre des khépris, femmes à têtes de scarabées, des cactus humanoïdes, des « recréés », des condamnées à une restructuration du corps… Ce monde présente une technologie de rouages et de vapeur à la steampunk, mais aussi une bonne dose de surnaturel et de théories scientifiques fantastiques. Mais, malgré cet exotisme débridé, on croit en cette cité et on aime s’y balader. La mythologie créé par China Miéville est en effet extrêmement bien construite. Tout s’avère plausible et pourtant vraiment excentrique.

Le style de China Miéville me rappelle au fond celui de Neil Gaiman. Pour moi, ces deux auteurs semblent caractéristiques d’une fantasy anglo-saxonne. Notre réel s’y mélange avec intelligence à l’imaginaire pour construire des miroirs habilement tordus de notre réalité. Il en résulte une oeuvre indéfinissable pour les aficionados des étiquettes.

Nouvelle-Crobuzon

La ville, miroir idéal pour interroger notre société, domine le récit. Au point que Nouvelle-Crobuzon m’a paru comme un personnage à part entière. Je l’ai vu comme un organisme gigantesque, bouillonnant de vie. Le lecteur patauge dans les pires excrétions, mais aussi dans les pensées les plus spirituelles. La métropole est partagée en quartiers traversés par des veines de tram ou de téléphériques. Crades et sombres, Malverse et Palus-aux-chiens ressemblent aux décors pathétiques de films noirs. Bercaille rassemble les khépris où s’érigent de gigantesques statues à la gloire de la communauté. D’autres encore comme Chiure, Aspic ou Criqueval racontent aussi leur propre histoire.

Du coup, j’ai l’impression que la lecture de ce roman résonnera autrement pour un habitant d’une métropole. Quel citadin n’a jamais été effrayé par la masse grouillante qui fonce aveuglément ? Par le flux d’individus qui mène sa petite vie égoïste, indifférent au sort d’autrui ? A force de la côtoyer à chaque coin de rue, on se surprend à accepter la misère quotidienne des grandes villes.

Un constant devenir, jamais devenu

China Miéville propose également une réflexion surprenante sur l’identité. De fait, les personnages portent tous en eux une forme d’hybridation : Homme-oiseau, amputés avec prothèses métalliques, femme à tête de scarabée. Le roman tourne beaucoup autour du concept d ‘hybridité. Mais ce mot a t-il vraiment un sens ? Qui pourrait prétendre être un individu uniforme, complet, pur ? Car la vie ne peut que mutiler : nous arracher un souvenir, abimer notre personnalité ou nous enlever une relation. Notre singularité, c’est notre mutilation. Nous ne sommes en fait jamais complets. Donner une définition exhaustive d’un individu relève plutôt d’une vision réductrice. Notre identité, c’est notre mixité et l’identité ne peut être qu’hybridation. Même si cela ressemble à un discours abstrait et abscons, son application sert le droit à la différence. Car le racisme n’existe que dans la comparaison d’un autre différent de moi. Et s’il n’existe que l’hybridation et la mixité, le racisme n’a aucune consistance. Bon, enfin, bref, une lecture bien riche pour l’intellect.

Illustrations :

Marc Simonetti

http://marcsimonetti.artworkfolio.com/

http://kemar.blogs.3dvf.com/

Julien Delval

http://juliendelval-romans.blogspot.be/