Monstres et Merveilles

« Coeurs de Rouille » de Justine Niogret

4 Commentaires

Première incursion de Justine Niogret dans le steampunk avec un roman épuré, un peu froid, mais pas dépourvu de saveur pour autant

Illustration de David Pairé et Myrtille Vardelle (Le Pré aux clercs)

Illustration de David Pairé et Myrtille Vardelle (Le Pré aux clercs)

Dans la cité du jeune Saxe, il n’y a ni ciel, ni saison, ni arbre, ni chant d’oiseaux. La nature est habilement singée par la mécanique. La moindre feuille est un bijou d’orfèvrerie. Mais les ingénieurs de cette grande illusion ont perdu le talent de leurs prédécesseurs. Là où les anciens confectionnaient de puissants golems, la nouvelle génération ne peut que bricoler de fragiles serviteurs pour l’aristocratie, les « agolems ». L’un de ces créateurs, Saxe, ne supporte plus cette société superficielle. Dès lors, il fuit le cœur de la cité pour les quartiers abandonnés. C’est là, qu’il rencontre Dresde. Depuis la mort de son maître, cette golem déambule dans une maison vide. Pour tromper sa solitude, elle mendie quelques réconforts dans ses habitudes d’automates. Saxe et Dresde aspirent tous deux à un ailleurs. Ce drôle de couple se met donc en quête d’une sortie, d’un possible « dehors ». Mais dans l’ombre, une aberration meurtrière, « Pue – la – Viande », les traque.

« Coeurs de rouille » est le dernier né de Justine Niogret. Ce roman, édité par Pré aux Clercs, cible les jeunes adultes, même si rien n’exclut à priori les plus âgés. Cette histoire nous plonge dans un univers steampunk qui flirte avec les utopies sociales de progrès, tel qu’a pu le proposer Bioshock dans le domaine vidéo ludique. Mais à l’inverse du jeu, « Coeurs de rouille » ne repose pas sur un monde foisonnant, exotique. Son univers est discret voire aride. L’intrigue, quant à elle, est assez simple, ce qui explique peut-être son étiquette YA (Young Adult). Mais le propos du livre n’est intentionnellement pas là. En effet, Justine Niogret construit souvent son œuvre comme une métaphore. Ici, elle nous parle de l’esclavage insoupçonné ou plutôt volontairement évacué de l’esprit. Elle remet aussi en question notre conception du progrès, que l’on associe volontiers à l’avancée technologique, au confort ou au rendement. Bref, comme dans ses précédents romans, son texte engendre un vivier de réflexions.

Une langueur monotone

Concept Art de Bioshock

Concept Art de Bioshock

Mais ce titre ne m’a pas vraiment séduit pour autant. L’univers épuré, les personnages un peu distants et la prose légèrement cryptique manquent de couleurs. Ce style d’écriture, que j’affectionne pourtant tout particulièrement, m’a semblé lourd par moments. J’ai eu donc quelques crises d’ennui lors de cette lecture.

Cependant « Coeurs de rouille » plaira probablement à d’autres. Saxe et Dresde sont deux coques brisées qui partagent une même souffrance, la solitude, la sensation de vivre dans un monde étranger. Une poésie mélancolique imprègne le texte. Un lyrisme qui, couplée au talent de l’auteur ne laisse pas totalement indifférent.

Pour en savoir plus :

L’illustration de la couverture est de David Pairé et Myrtille Vardelle, deux graphistes français qui utilisent abondamment la photographie dans leur travail.

4 réflexions sur “« Coeurs de Rouille » de Justine Niogret

  1. Chouette revue mais je ne comprend pas le caractère exotique de Bioshock. Pourrais-tu expliquer ?

    • Exotique, dépaysant, qui émerveille par son étrangeté. Bioshock, jeu vidéo oblige, nous plonge directement dans un autre univers. Les personnages, comme les environnements sont colorés et bien tranchés. Le monde de Rapture (bioshock) a une palette très large de visuels et de sensations.
      « Coeurs de rouille » ne joue pas du tout dans la même catégorie. Le world building et le caractère immersif ne m’ont pas semblé prédominant dans le roman. Or dans la littérature de l’imaginaire, les grands espaces, les environnements merveilleux ont souvent une importance considérable. Ici, le propos est plus intimiste, plus verbeux, un peu comme un vieux film français. L’accent est mis sur la psychologie des personnages qui est davantage suggérée que platement affirmée. Du coup, beaucoup de place laissée à l’interprétation, mais aussi par conséquent un récit plus difficile d’accès, plus froid.
      Pourquoi comparer les deux ? Parce qu’ils partagent quelques thématiques et environnements. Et c’est donc l’illustration parfaite que Justine Niogret est une véritable auteure car elle fait des choix artistiques qui lui sont propre dans le traitement de son histoire (même si j’ai moyennement apprécié « Coeurs de rouille »).
      En résumé, les deux titres auraient pu se ressembler. Au lieu de cela, ils ont très peu en commun. Bioshock mise sur un world building exotique et immersif. « Coeurs de rouille » est intimiste et dépouillé.

  2. C’est marrant, j’aime beaucoup Justine Niogret, j’ai vraiment adhéré à « Chien du heaume » et « Mordre le bouclier » (moins à « Gueule de truie » c’est vrai…), j’aime beaucoup son écriture, mais j’ai du mal à me décider pour celui-là…

    En tout cas, j’aime bien ta comparaison avec Bioshock, une autre utopie sociale (tous les Bioshocks en fait, Infinite également !) et le fait que l’auteur joue plutôt sur l’intimiste que sur le world-building, c’est vraiment le cas avec tous ses romans. C’est un peu sa marque de fabrique : l’univers est à peine esquissé, juste de quoi situer les personnages. Ensuite, ce sont eux qui portent le récit.

  3. Oui, tout à fait pour la marque de fabrique. Mais ici, j’ai ressenti beaucoup moins d’empathie pour les personnages que dans « Mordred » par exemple. Du coup, j’ai davantage vu cette marque de fabrique comme un manque.
    J’espère que Justine Niogret se lancera un jour dans un roman plus léger, voire humoristique. Je garde un très bon souvenir de son petit lexique à la fin de « Chien du heaume ».

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